Le domaine (Jo Witek)
Résumé de l’éditeur
Gabriel accompagne sa mère embauchée pour l’été comme domestique dans la haute bourgeoisie. Les marais et les kilomètres de landes qui entourent le domaine sont une promesse de bonheur pour ce jeune homme passionné de nature et d’ornithologie. Pourtant, dès son arrivée, il se sent mal à l’aise et angoissé. Le décorum et l’atmosphère figée de la demeure déclenchent chez lui des pulsions incontrôlées de colère, de désir, de jalousie. Et quand les petits-enfants des propriétaires débarquent, avec parmi eux la belle et inaccessible Éléonore, Gabriel ne maîtrise plus rien de ses émotions. Désormais, c’est eux et surtout elle qu’il observe à la longue-vue. Désormais, le fils de la domestique est prêt à tout pour se faire aimer car il est fou d’elle. Jusqu’à la mettre ou se mettre lui-même en danger…
Mon avis
J’ai failli laisser tomber le roman tellement les descriptions pour planter le décor étaient longues. Ce qui m’a fait tenir, c’est le style travaillé de l’auteure, qui m’a fait penser à celui d’un « Balzac pour la jeunesse ». Gabriel est décrit comme un jeune homme solitaire, amoureux de la nature, qui peut passer des heures à observer et photographier des animaux. Il est plutôt poli, bien élevé, cultivé et curieux, il fait figure de fils et gendre idéal.
« De retour sur sa serviette, Gabriel ne fit rien d’autre qu’observer. Juste se rassasier des embruns, de cette énergie lumineuse qui parfois en un clin d’œil projette les âmes tendres dans la plus douloureuse des nostalgies. Il vit défiler les couleurs de l’enfance, les rires, les pâtés de sable avec son père, la beauté du corps de sa mère. Une soudaine envie de chialer seul sur cette plage. Heureusement, Gabriel avait une arme contre ce genre de vague à l’âme. Après avoir dévoré son pique-nique, il se plongea dans un bouquin. Longtemps, le soleil dans les yeux, le sable sur les pages. »
Lorsque les petits-enfants de la propriétaire débarquent au domaine, il y a enfin un peu d’action et Gabriel tombe évidemment amoureux d’une jeune femme tourmentée. S’ensuit une partie du récit où les sentiments amoureux sont décrits avec pas mal de clichés. Gabriel brûle de l’intérieur pour Éléonore, il est prêt à tout pour conquérir son cœur.
« Elle n’est pas pour toi, Gabriel. Oublie. Cette fille n’est pas à ta portée. C’est une héroïne de roman, une diva, une princesse moderne. D’ailleurs, elle ne te regarde pas. Son indifférence n’est pas une posture, tu t’es trompé. C’est juste qu’elle ne te voit pas et ne te verra jamais. C’est normal. Dans l’ordre des choses. Quelle fille aimerait un mec de seize ans qui passe son temps à regarder les oiseaux ? À lire ? Qui se lève à cinq heures du matin et préfère passer la nuit à écouter coasser les rainettes que de s’agiter sur les dancefloor branchés ? Quelle fille aimerait le fils de la domestique ? Pas elle, en tout cas. Pas Éléonore de La Guillardière. Oublie. Et puis, elle t’a vu à poil, alors, c’est mort. Pourtant, même s’il n’y croyait pas, Gabriel sentit dès les applaudissements que son été venait de basculer. Désormais, son désir l’attachait au domaine. Désormais, il n’avait d’yeux que pour elle. »
Les maigres bases pour faire naître le thriller sont plantées. C’est là que tout bascule avec un décès inattendu et que je me suis un peu détachée de l’histoire, tellement le basculement dans le thriller me paraissait forcé et tardif. La fin est relativement prévisible. J’ai été assez déçue par ce roman.
Le +
- L’atmosphère est digne des romans gothiques (avec le mélange de passion dévorante et de macabre, l’isolement du domaine).
- Le style ciselé de l’auteure est intéressant.
- L’intensité du 1er sentiment amoureux qui brûle le personnage de l’intérieur intéressera sûrement les ados.
Le –
- Si le lecteur n’est pas spécialement passionné de nature et d’ornithologie, les descriptions lui sembleront longues.
- La description de la famille possédant le domaine est parcourue de clichés sur les nobles (ils sont décrits comme hautains mais ayant l’air bien sous tous rapports, catholiques pratiquants, ayant des domestiques d’origine étrangère, qu’ils malmènent de temps en temps,…).
- L’ambiance est pesante, parfois malsaine.
- La dimension thriller est mise en place trop tard et pas assez bien préparée.
- La fin est prévisible.
Le coin des profs
- Le roman est un bon point de départ pour évoquer les descriptions naturalistes et la documentation nécessaire qui en découle. Donc, il convient à des bons lecteurs (la mention « dès 14 ans » me paraît un peu jeune).
- Le récit peut permettre un débat sur le déterminisme social et sur le mal-être psychologique (jusqu’où on peut aller pour s’en libérer).
Infos pratiques
- Dès 14 ans
- Actes sud junior
- 336p.
- 14,80 €