Toute la beauté du monde n’a pas disparu (Danielle Younge-Ullman)
Résumé de l’éditeur
Les souvenirs sont parfois trop lourds à porter. Ingrid ne comprend pas ce qu’elle fait dans ce trek au beau milieu de la nature la plus sauvage. Sac au dos, dans la chaleur et les moustiques, elle tente de faire face. Aux conditions extrêmes, aux adolescents perturbés qui l’accompagnent, à son passé qui la rattrape. Comment sa mère adorée a-t-elle pu lui imposer cette épreuve ? Jusqu’où lui faudra-t-il repousser ses limites ? En pleine tourmente, Ingrid nous fait vivre l’aventure à laquelle rien ne l’a préparée, tout en nous dévoilant son passé et le drame qui l’a propulsée là. Un superbe roman d’apprentissage, où l’humour flirte avec l’émotion.
Mon avis
Séduite par le titre et encouragée par des commentaires élogieux sur le roman, je me suis lancée avec enthousiasme dans la lecture du récit. Il m’a fallu une cinquantaine de pages pour entrer dedans, mais après, je n’ai plus réussi à le lâcher et j’ai eu un beau coup de cœur !
La raison pour laquelle il a été difficile pour moi d’entrer dans le récit, c’est parce qu’on est parachuté au début du camp où Ingrid va, mais où elle n’a visiblement pas envie d’être. Elle râle et critique tout, ce qui m’a donné à tort l’image d’une sale gosse capricieuse. En fait, les événements qui se déroulent dans le camp sont entrecoupés de flash-backs qui nous aident à reconstituer le puzzle de l’histoire d’Ingrid et c’est ça qui m’a un peu freinée, car d’entrée de jeu, la profondeur et la souffrance d’Ingrid de sont pas perceptibles. Durant le camp, elle écrit aussi des lettres à sa mère qui nous aident à comprendre la force de son lien avec elle, mais aussi toute sa complexité (la haine est assez présente).
En fait, Ingrid souhaite entrer dans une école de chant à Londres et sa mère n’est pas d’accord car elle a été une grande cantatrice dont la carrière s’est arrêtée du jour au lendemain après avoir eu un problème de cordes vocales. Ayant perdu sa raison de vivre et ayant connu la dureté du milieu artistique, elle ne veut pas que sa fille connaisse le même sort et lui souhaite une carrière stable. Ingrid tape des poings sur la table pour se faire entendre et sa mère accepte qu’elle intègre l’école de chant à condition qu’elle participe au camp nature de Peak Wilderness. Ce qu’elle ne dit pas à sa fille, c’est que c’est un camp à la dure, où on doit monter sa tente seul, marcher toute la journée, porter la nourriture et le kayak, endurer les piqûres de moustiques, les courbatures, les cloques au pied, le sac de couchage mouillé et les vêtements salis par la transpiration et la boue.
Ingrid en veut à sa mère de lui avoir caché ça, d’autant plus qu’elle se retrouve avec d’autres ados réputés difficiles : il y a Ally, une jeune mère cherchant à prouver qu’elle peut prendre soin de son bébé ; Jin, une rebelle en conflit avec ses parents qui s’est droguée et prostituée ; Mélissa, récemment sortie d’une secte ; Seth, un homosexuel très croyant dont la famille veut lui faire retrouver le chemin de la « vérité » ; Tavik, un jeune homme à l’air sombre qui sort de prison ;… Bref, vous l’aurez compris, il n’y a pas de quoi s’ennuyer. Les tensions et les engueulades sont fréquentes, les conditions dans lesquelles évoluent les jeunes personnages n’arrangent rien. Ingrid, plutôt bonne élève et calme, n’a a priori rien avoir avec ces adolescents « à problèmes ». Pourtant, au fur et à mesure, on comprend qu’elle a vécu un drame. On sent qu’elle a dû faire face à des épreuves difficiles qui l’ont profondément marquée. Elle a du mal à gérer ses émotions, se bat contre sa colère à l’égard de sa mère et sa propre culpabilité. Elle se ferme, se constitue une carapace pour se protéger de ses souvenirs douloureux. Au fur et à mesure qu’on avance dans le récit, on comprend qu’elle a dû porter le poids d’une mère dépressive et qu’elle éprouve des difficultés à se départir de ce lien si fort avec elle.
« Comme le premier soir, chacun prend la parole à son tour. Chacun explique là où il en est par rapport au début du séjour, et ce qu’il retire de cette aventure. Contrairement au premier soir, je n’ai plus peur de tous ces gens, je n’ai plus l’impression d’être différente d’eux, ni d’avoir été dirigée vers le mauvais camp. J’ai autant de raisons que les autres d’être ici. J’ai vu chacun de nous se heurter à ses propres murailles. J’ai vu chacun lutter, avoir envie de capituler, et persévérer même après avoir dit qu’il renonçait. Pour certains, ces passages ont été dramatiques, pour d’autres, un peu plus en douceur. Mais les rigueurs du séjour, les défis de la vie en groupe, les défis physiques, la nature elle-même, tout cela nous a permis de changer, de devenir plus forts. Peut-être même que ce qui est pour moi de la psychologie pourrie orchestrée par Pat en Bonnie en a aidé certains. Je dis bien peut-être. »
Dans ce camp, Ingrid est confrontée à ses souvenirs et ses faiblesses qui rejaillissent. Elle doit affronter ses peurs, mais sa persévérance va lui permettre de se découvrir une force insoupçonnée. Le fait de se retrouver dans un environnement inconnu, qui l’oblige à se recentrer sur l’essentiel, à savoir la survie, était sans doute ce qui lui manquait pour faire la paix avec sa mère, mais surtout avec elle-même pour aller de l’avant. En effet, ce n’est pas simple de passer d’une vie nomade faite de voyages à travers l’Europe au gré des tournées de sa mère, à une vie sédentaire dans une nouvelle ville au Canada, où sa mère passe ses journées au lit. La voilà brusquement plongée dans les problèmes des adultes à 11 ans. Pas simple. Et pourtant, dans ce camp, il se passe quelque chose : la volonté de vivre prend peu à peu le dessus sur la colère.
« J’ai essayé de vivre à minima. J’ai voulu correspondre à ce que tu souhaitais pour moi afin que tu résistes à la spirale qui t’entraînait. Mais à chercher à te maintenir en vie j’ai tout perdu ou presque. Vivre comme ça, maman, ça équivaut à la mort. Or j’ai envie de vivre. […] J’ai envie de vivre. J’ai envie de chanter, de raconter des histoires, de découvrir plein de choses, de connaître des choses qui me dépassent, aussi. J’ai envie de donner tout ce que j’ai, même si ça fait mal, même si ça me terrasse. Mais je ne peux pas le vouloir pour toi. Je ne peux pas t’obliger à renoncer à ta douleur, je ne peux pas t’attacher à moi, je ne peux pas te garder près de moi. Si je continue à te faire passer avant moi, je ne vivrai pas. À quoi bon ? J’ai respecté ma parole, j’ai tenu le coup pendant ce séjour. J’ai fait mes choix et maintenant je choisis de vivre. Je t’embrasse. Ingrid. »
Toute la beauté du monde n’a pas disparu est dans la sélection pour le prix Farniente 2019. Affaire à suivre !
Le +
- Ingrid est un personnage touchant. Elle a vécu des épreuves difficiles, ce qu’elle vit est loin d’être simple, mais elle se bat pour s’en sortir. Elle a aussi un sens de l’ironie féroce qui donne quelques passages cocasses à lire. Malgré la lourdeur du thème, le roman est assez agréable à lire, on n’arrive pas à le lâcher.
- La complexité de la relation mère – fille est décrite avec beaucoup de justesse.
- Découvrir les péripéties de la vie à la dure à la campagne a un côté dépaysant agréable (tant qu’on ne vit pas les difficultés des personnages !).
- Le style de l’auteure est ciselé et assez intéressant (la traduction me paraît de qualité).
Le –
- La tension dramatique n’apparaît pas tout de suite dans le récit. Certains lecteurs pourraient décrocher après quelques de pages, alors que la suite du récit en vaut vraiment la peine.
Le coin des profs
- Ce roman d’initiation est intéressant pour aborder les événements fondateurs dans la construction d’une identité d’adulte libre, mais aussi le problème de la parentification et des difficultés pour l’enfant parentifié qui devient adulte (conflit de loyauté, dépendance affective et émotions liées, comme la colère et/ ou la culpabilité…).
Mots clés
Camp, nature, dépression, vocation, chant, amitié, difficultés de vivre, mort
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Les petits orages de Marie Chartres
Infos pratiques
- À partir de 13 ans
- Gallimard jeunesse (collection « Scripto »)
- 384p.
- 16,50€