Dysfonctionnelle (Axl Cendres)
Résumé de l’éditeur :
Fidèle, alias Fifi, alias Bouboule, grandit dans une famille dysfonctionnelle ; Papa enchaîne les allers-retours en prison, Maman à l’asile ; mais malgré le quotidien difficile, Fidèle vit des moments de joie, entourée de ses six frères et sœurs aux personnalités fortes et aux prénoms panachés : Alyson, JR, Dalida, Jésus… Cette tribu un peu foldingue demeure Au Bout Du Monde, le bar à tocards que tient le père dans Belleville, théâtre de leurs pleurs et rires.
À l’adolescence, la découverte de son « intelligence précoce » va mener Fidèle à « l’autre » bout du monde : un lycée des beaux quartiers où les élèves se nomment Apolline ou Augustin, et regardent de haut son perfecto, ses manières de chat de gouttière et ses tee-shirts Nirvana. Mais c’est aussi là que l’attend l’amour, le vrai, celui qui forme, transforme… celui qui sauve.
Mon avis :
J’ai eu un véritable coup de cœur pour ce roman ! De prime abord, j’étais séduite par le résumé sur la couverture, mais un peu craintive également à l’idée de découvrir une série de clichés et de la psychologie de couloir sur les familles dysfonctionnelles. Non seulement, l’auteure n’est pas tombée dans ce travers, mais elle nous présente en plus un petit bijou dont on ne parvient pas à arrêter la lecture !
Vous l’aurez compris, Fidèle évolue dans un monde un peu barge, avec tous ses frères et sœurs, mais aussi les allers-retours de ses parents en prison ou à l’asile. La première partie du roman présente la fratrie de Fifi et c’est bien nécessaire pour pouvoir s’y retrouver. Le décor est planté, les dysfonctionnements de la systémique familiale sont assez faciles à déceler, mais ce n’est pas tellement ça l’important. On arrive dans le présent de l’héroïne, chez qui on diagnostique une intelligence élevée.
« Nous avons fait passer un test de QI à tous les élèves. C’est un test qui mesure en quelque sorte l’intelligence ; et celle de votre fille est très, très élevée. » Maman n’a rien dit, se contentant de poser fièrement sa main sur mon épaule. Papa, un peu renfrogné, a demandé : « Ça veut dire qu’elle comprend plus de choses que moi ? »
Du coup, la voilà parachutée dans une école des beaux quartiers, où les jeunes au prénom composé la regardent d’un drôle d’air avec ses vêtements bon marché et son allure populaire. On ne bascule pourtant pas dans des clichés relatifs au choc des classes, Fifi assume naturellement sa différence.
-Demain, y’a des chances pour que les aut’ gamins se moquent de toi…
-Et pourquoi ça ? j’ai demandé en croisant les bras, pour mimer mon père quand il entendait quelque chose qui lui plaisait pas. Moi qui croyais être la personne la plus cool de l’univers, je voyais pas pourquoi on se moquerait de moi.
Mon oncle n’osait pas me répondre : « Parce que t’es une petite grosse en perfecto qui s’appelle Fifi », alors il a dilué :
-Pace’que t’es di-ffé-rente.
Je restais perplexe, il a continué :
-Ça veut dire que les autres ne sont pas comme toi, mais ils sont simplement plus nombreux. Pigé ?
Le plus riche dans cette histoire est de découvrir une galerie de personnages avec un esprit de tribu, qui s’aiment malgré leurs différences, leurs engueulades, leurs blessures, leurs imperfections,… La vie n’est pas simple pour cette famille et on voudrait même en faire partie par moments. Fidèle est authentique et touchante, on la suit avec plaisir dans ses aventures, on a peur pour elle, on rit avec elle, on veut la protéger, on l’aime déjà.
Certains psys sauteraient au plafond en lisant certaines répliques. Oui, les adultes ont parfois des comportements aberrants, par exemple quand le père de Fifi sort devant ses enfants un flingue quand un client de son bar le contredit. Bon, je sais… Mais c’est justement ça qui est bien. Parce que ces personnages, ils sont vivants et ils s’aiment. On sent rugir la rage de vivre en eux, malgré la liste des « même si ». Et ça, c’est déjà beaucoup. L’histoire fait vivre à cette famille des situations rocambolesques, directement suivies de moments émotionnellement intenses, et nous ne pouvons nous empêcher de tomber amoureux de cette famille dite « dysfonctionnelle », mais où l’amour est toujours présent.
L’auteure nous emmène avec naturel dans son univers où se mêlent coups du sort, tendresse, larmes et fous rires. À travers un style ciselé, elle nous donne à lire des dialogues percutants et parfois hilarants, toujours très justes, qui ne basculent jamais dans l’excès ou le grand n’importe quoi. Ce roman est un condensé d’émotions pures et sans concession. Un roman vibrant qui donne envie d’oser et de vivre.
Le +
- L’univers barré
- Les personnages attachants
- L’homosexualité abordée avec beaucoup de naturel
- À lire si vous avez un besoin urgent de faire travailler vos zygomatiques
Le –
- Je n’en vois pas ! C’est rare…
Le coin des profs :
- Le roman ne présente aucune difficulté de lecture. On peut le donner à lire à des lecteurs faibles pour les reconnecter au plaisir de la lecture. Attention aux puristes de la grammaire, la syntaxe du ton populaire est malmenée (mais très juste).
- Je conseille aux profs de lire le roman avant de le soumettre aux élèves. Certains passages peuvent susciter des débats délicats. Il faut s’y préparer.
- La question de l’homosexualité féminine est évoquée dans ce récit avec beaucoup de naturel, mais aucune allusion n’y est faite dans le résumé sur la couverture.
- Pour moi, ce roman est intéressant à faire lire à des élèves dans une section à orientation sociale. On peut aborder de nombreuses pistes de débat (par exemple, l’homosexualité, la différence des classes, le déterminisme social, la systémique familiale, les familles d’accueil, le traumatisme de guerre,…).
Infos pratiques :
- Dès 13 ans
- Éditions Sarbacane (collection Exprim’)
- 288p.
- 15,50 €