Orphelins 88 (Sarah Cohen-Scali)
Résumé de l’éditeur
Munich, juillet 1945. Un garçon erre parmi les décombres… Qui est-il ? Quel âge a-t-il ? D’où vient-il ? Il n’en sait rien. Il a oublié jusqu’à son nom. Les Alliés le baptisent « Josh » et l’envoient dans un orphelinat où Ida, directrice dévouée, et Wally, jeune soldat noir américain en butte au racisme de ses supérieurs, vont l’aider à lever le voile de son amnésie. Dans une Europe libérée mais toujours à feu et à sang, Josh et les nombreux autres orphelins de la guerre devront panser leurs blessures tout en empruntant le douloureux chemin des migrants. Si ces adolescents sont des survivants, ils sont avant tout vivants, animés d’un espoir farouche et d’une intense rage de vivre. Un roman saisissant qui éclaire un pan méconnu de l’après-Seconde Guerre mondiale et les drames liés au programme eugéniste des nazis, le Lebensborn.
Mon avis
Nous sommes à la fin de la seconde guerre mondiale. On pourrait croire la période faste, terriblement heureuse. Et pourtant… Les images sont trompeuses ou du moins, elles masquent la réalité. Beaucoup de gens n’ont plus rien et errent sur les routes. Beaucoup de Juifs, parmi les survivants de la Shoah, ne peuvent plus rentrer chez eux, parce leur logement n’existe plus ou est occupé par de nouveaux arrivants qui les dégagent sans ménagement. Spoliés, ils n’ont plus rien. Leur maison est occupée, ils ne savent plus où aller. Beaucoup d’enfants également se retrouvent démunis, sans famille, sans repères. Cette période n’est assurément pas heureuse pour tout le monde. C’est même une période barbare : beaucoup de gens meurent de faim et sont prêts à tout pour survivre : voler, piller et même tuer. Les camps de DP (displaced persons, traduisez par « personnes déplacées ») ne désemplissent pas et la vie y est rude.
Dans l’Allemagne occupée, les Américains recueillent les enfants errants, pour la plupart échappés des camps de concentration ou rescapés du programme eugéniste des nazis. Parmi eux, Josh, totalement amnésique. En réalité, Josh est un juif arraché à ses racines dès son plus jeune âge par le programme « Lebensborn » destiné à créer des enfants parfaits d’après une sélection raciale ; il sera, en 1945, accueilli au sein de l’UNRRA (unité pour le secours et la reconstruction).
« Je vois Bruhns qui entre dans la salle de douche où il a ordonné à une détenue de me laver dans un bac, moi « le petit chien de Polak puant ». Il la congédie d’un geste. S’approche de moi. Passe sa main dans mes cheveux. Sourit. « Tes cheveux ont la couleur de la neige. Schnee. » Il coince mon menton entre ses doigts et me force à redresser la tête. Il plonge ses yeux dans les miens et dit : « Himmelblau ». Un homme entre. Il porte une blouse blanche. Un médecin. Au camp, les médecins ne guérissent pas, ils tuent… Il s’approche de moi, puis ouvre une sacoche et en sort des instruments de mesure. Il mesure mon crâne. L’épaisseur de mes lèvres. La longueur de mon nez. La distance entre mes tempes. La longueur de mes doigts, de mes orteils. La distance entre mon cou et mon nombril. Il mesure mon pénis. Il mesure, mesure, mesure. Je compte pour conjurer ma peur. Soixante-douze mesures ! Puis il dit à Bruhns : « Il est racialement valable. Nous pouvons l’intégrer au Lebensborn. » »
Avec l’aide d’Ida, la directrice du centre qui l’héberge, de Wally, un jeune soldat noir, et de la complicité de ses amies Beate et Halina, Josh va tenter de reconstruire son passé et de retrouver ses proches. Une belle histoire, construite comme une enquête policière, avec ses interrogations et ses rebondissements. Il y a beaucoup de détails violents et un peu crus, probablement fidèles à l’histoire.
Dans ce contexte difficile, Josh est perdu, il n’a plus de mémoire, tout au plus que des bribes et le peu dont il se souvient a de quoi le laisser désemparé. Il ne sait même pas quelle langue il parle. Il sait qu’il a appris l’allemand, mais manifestement sous la contrainte. Son bras gauche est tatoué. A-t-il connu les camps ? Est-il juif ? Il est terrifié de ne pas savoir d’où il vient, de ne pas savoir ce qu’il a vécu. Josh se confie : « Quand je vois des soldats américains, mon bras droit me dit que je dois les haïr, les fuir, en avoir peur, malgré leur gentillesse apparente − le chocolat, les bonbons, les sandwichs au jambon − tandis que mon bras gauche me dit le contraire. Va vers eux ! Ce sont tes libérateurs ! »
Le personnage de Josh est plus vrai que nature et pour cause, Sarah Cohen-Scali s’est inspirée de personnes réelles pour construire son roman. Elle a procédé à un énorme travail de recherche, qui lui a permis d’écrire un ouvrage très réaliste, fondé sur les récits, les témoignages et les divers documents d’archives qu’elle a trouvés. Josh est très attachant et le lecteur suit sa quête d’identité tout au long d’une histoire parsemée de personnages touchants. Josh ne pourra avoir un avenir que s’il résout les mystères de son passé. Il veut savoir, tout savoir, mais il a en même temps peur de ce qu’il pourrait découvrir…
Orphelins 88 est un roman prenant. Dans un contexte historique lourd, il aborde un sujet douloureux : la quête de ses origines, et au-delà, la quête de soi. La fin est émouvante, mais aussi un peu pessimiste : la violence entre les peuples ou les religions ne prend pas fin avec l’arrêt de la guerre. C’est tellement d’actualité…
Le +
– L’auteure a réalisé un travail remarquable de recherche documentaire. Personnellement, j’ai découvert de nombreux éléments historiques, alors que j’ai déjà lu pas mal de romans sur la 2e guerre mondiale.
– Les personnages sont dessinés progressivement, avec une grande humanité. Le personnage de Josh et sa détermination à savoir qui il est est vraiment touchante.
Le –
L’éditeur conseille la lecture du livre « à partir de 13 ans », mais je dirais plutôt « à partir de 15 ans » en raison de certaines scènes violentes (voire cruelles) relatées, mais aussi en raison du foisonnement de détails historiques.
Le coin des profs
Le roman est très intéressant à lire pour aborder l’après-guerre sous un autre regard. Il est toutefois nécessaire que les jeunes lecteurs soient au fait des grandes lignes de la 2e guerre mondiale au risque d’être perdus dans les détails historiques donnés.
Mots clés
Amnésie, après-guerre, défaite, précarité, races, survie, victoire, violence
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Le sel de nos larmes, Ruta Sepetys
Infos pratiques
– À partir de 13 ans
– Robert Laffont
– 432p.
– 15,90€