De délicieux enfants (Flore Vesco)
Résumé de l’éditeur
Depuis des jours, les écuelles sont vides, tout comme les estomacs. Dans leur maison au fond des bois, le père et la mère désespèrent de nourrir leur chère progéniture. Sept bouches voraces. Sept enfants espiègles qui ont déjà bien grandi. Sauf Tipou. Difficile de trouver sa place, quand on en prend si peu… Du haut de ses treize ans, Tipou rêve d’aventure. Cela tombe bien : la forêt noire et profonde cache d’inquiétants mystères. Qui sème ces feuilles et baies sanglantes ? Pour le découvrir il vous suffit, à vos risques et périls, de suivre les traces…
Mon avis
J’ai beaucoup aimé « D’or et d’oreillers » et je suis ravie que Flore Vesco s’attaque à présent au Petit Poucet et ses frères, et surtout aux ogresses, qui sont au centre de son conte. Nous voilà cette fois-ci embarqués dans une réécriture, bien que le terme soit un terme bien faible pour qualifier la virtuosité avec laquelle Flore Vesco s’empare des thématiques initiales du conte (famille affamée, nombreuse fratrie, forêt inquiétante, enfants abandonnés…) pour y insuffler un message sur la puissance des femmes en usant d’un vocabulaire extraordinaire. Je vous explique…
Une famille vivant isolée dans la forêt peine à traverser l’hiver, faute de nourriture. Mais l’amour qui lie ses membres empêche d’envisager les extrémités auxquelles cèdent les parents du conte original. Tous les géniteurs n’ayant pas la même grandeur d’âme, voilà que sept garçons abandonnés par leurs parents frappent à la porte de la chaumière. Comment ne pas les accueillir ? Et dans le même temps comment les nourrir alors que les sept enfants de la famille n’ont rien dans le ventre non plus ? L’arrivée de ces garçons fait entrer la société et ses jugements dans le foyer et remet en cause l’organisation familiale et les valeurs transmises. Elle agit aussi comme un venin, rompant la belle unité qui liait la famille.
Chaque personnage (ou groupe de personnages) a la possibilité de s’exprimer en s’emparant de la narration des certains chapitres. Ce procédé a pour mérite de valoriser l’amour parental et la difficulté pour le père de voir grandir et changer ses enfants, donnant à lire des passages très touchants. Et le lecteur de se rendre compte que le méchant n’est pas toujours celui que l’on croit, les stéréotypes en prennent pour leur grade. Sans trop en dire pour ne pas divulgâcher, j’ai adoré ce jeu sur l’identité et toutes les nuances et les variations de vocabulaire qu’il implique.
La vision de la famille est tout en nuances, entre volonté d’émancipation, douceur et poids du rôle attitré. J’ai particulièrement aimé les personnages de Tipou et de son père, leur énergie et leur amour l’un pour l’autre. Je ne saurais que trop recommander ce roman riche et enlevé à tous les amoureux des contes et de la langue. Une nouvelle fois, Flore Vesco invite ses lecteurs à remettre en cause leurs préjugés et modernise une histoire connue de tous, tout en respectant fondamentalement son esprit. Une lecture très stimulante !
Dans ce récit, Flore Vesco nous rappelle qu’il faut se méfier des apparences, que la beauté extérieure n’a de sens que dans un cadre socio-normé et que les sentiments ont plus de valeur que les ambitions. En nous immisçant dans la tanière de l’ogre et de l’ogresse, l’autrice met en exergue les liens qui unissent les êtres, entre fraternité, entre sororité, entre parents et enfants… bref, en famille.
Le père m’a beaucoup touchée, surtout dans ses angoisses de dépossession vis à vis de ses enfants. Il est beaucoup question de parentalité, d’entraide, de féminité, de survie et de famine car tous les personnages ont tellement faim, tout le temps, au propre comme au figuré. Faim de nourriture avant tout, évidemment, mais aussi faim d’émancipation, d’amour, de rédemption, de résilience…
La narration est très bien orchestrée : les personnages racontent les événements de façon chronologique, chacun à leur tour (le père, la mère, les six enfants, Tipou…), nous donnant ainsi une version très personnelle et subjective de leur réalité. Les courts chapitres s’enchaînent à un rythme haletant. Même si les premières pages m’ont paru un peu lentes, l’intrigue se met en place doucement, et tout s’accélère au fil des péripéties (qui m’ont parfois épatée !). L’ambiance est sombre, réaliste avec juste ce qu’il faut d’enchantement et de désenchantement, portée par la belle plume de Flore Vesco.
L’autrice fait à nouveau preuve d’une maîtrise de la langue hors du commun : le style est fluide, travaillé, moyenâgeux, en totale harmonie avec l’époque et les personnages. J’ai adoré dévorer ce conte revisité avec l’intelligence, l’acuité et toute l’élégance des mots dont est capable Flore Vesco. Elle invente une variation sur le Petit Poucet avec de multiples références au Petit chaperon rouge et à Hansel et Gretel. Elle imagine une tout autre histoire à la rencontre du Petit Poucet et ses six frères avec les sept filles de l’ogre.
Tous les héros ont atrocement faim, en permanence et Flore Vesco joue sur tout le champ lexical de cette faim. Il n’y a rien à manger, il n’y a rien à goûter, tout réveille alors les envies de dévoration, une pulsion inextinguible de bout en bout. Aussi est-il question de chair et de sang. le sang est omniprésent avec la couleur rouge obsédante, son odeur métallique, les taches, les giclées, les filets… C’est le sang de la viande que l’on ingère mais aussi le sang des jeunes filles qui deviennent femmes. Flore Vesco développe alors un message féministe, du sang menstruel aux jeunes ogrionnes qui assouvissent leurs désirs et sont appelées à dévorer les hommes qui se mettent sur leur route. Flore Vesco développe donc, sous la forme d’un exercice de style, un roman à thèse sur le patriarcat – l’ogre possessif et dévoreur d’enfants, les frères du Petit Poucet bien décidés à dompter les ogrionnes -, la libération des femmes mais aussi un message politique avec cette famille ostracisée en raison de sa monstruosité. L’héroïne, c’est bien Tipou et son émancipation. Le Petit Poucet disparaît et avec lui, une certaine lecture du conte dans laquelle le plus petit et frêle sauve sa famille, j’aime beaucoup !
« Il serait tellement dommage de te gâcher… tu es une belle opportunité de déranger ce monde où les riches se gavent de ce que produisent les pauvres. Jusqu’à présent, j’ai donné à des ogres les moyens de prendre leur revanche. Certes, c’était amusant… mais une ogresse ! Voilà qui est encore mieux. Les femmes ont un héritage de souffrances qui, à lui seul, justifierait qu’elles se mettent toutes à engloutir ceux qui les brident. Je voudrais faire de toi une jolie petite ogrionne, une belle enfant à pleines dents, qui avale les idiots qui croient lui barrer le chemin. Malheureusement, tu es arrivée tête baissée, sans appétit aucun, bien trop sage. Je t’ai lancé des épreuves. J’espérais qu’en me désobéissant, qu’en volant un œuf, tu finirais par t’emparer du bœuf. J’ai tout fait pour te pousser dans la pente ! Mais rien. Me voilà donc à la dernière extrémité. Pucelle, veux-tu les bottes ? Je fais oui de la tête. Elle pointe Poucet qui écoute notre conversation, terrorisé. – Tu comprends, maintenant, n’est-ce pas ? dit-elle. Si Poucet est dans une cage, c’est pour ton repas à toi. Mange-le, et les bottes seront à toi. Sinon, je les détruis. Elle me tend le couteau. »
Le +
- Les récits de Flore Vesco sont très riches et offrent plusieurs niveaux de lecture adaptés à différents types de lecteurs.
- La richesse de la modernisation fait que chaque lecteur peut être touché par cette histoire.
- Flore Vesco travaille très bien la structure narratologique de ses récits avec un style fluide.
- Le récit d’émancipation de Tipou qui met de côté l’histoire du petit Poucet est un plus selon moi.
Le –
À la fin du récit, certaines allusions subtiles sont faites aux mythes des dieux grecs. C’est dommage qu’elles n’aient pas été plus développées.
Le coin des profs
Le récit est une excellente porte d’entrée pour aborder les contes et l’émancipation des femmes.
Niveau de lecture
Intermédiaire
Genre
Conte
Mots clés
Amour, condition de la femme, destin, émancipation, identité, initiation, famille, meurtre, monstre, ogre, pouvoir, préjugés
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L’année de grâce, Kim Liggett
Infos pratiques
- À partir de 13 ans
- L’école des loisirs
- 224p.
- 15€