Félines (Stéphane Servant)
Résumé de l’éditeur
Personne ne sait exactement comment ça a commencé. Ni où ni quand d’ailleurs. Louise pas plus que les autres. Ce qui est sûr, c’est quand les premiers cas sont apparus, personne n’était prêt et ça a été la panique. Des adolescentes qui changeaient d’un coup. Des filles dont la peau se recouvrait de… dont les sens étaient plus… et les capacités… Inimaginable… Cela n’a pas plu à tout le monde. Oh non ! C’est alors qu’elles ont dû se révolter, être des Félines fières et ne rien lâcher ! Après Sirius (prix Sorcières 2018), Stéphane Servant revient avec un roman coup de poing.
Mon avis
Nous plongeons dans ce récit à travers l’histoire de Louise, une ado qui s’habille en noir et porte une cape afin de cacher toutes les cicatrices héritées d’un grave accident de voiture. Elle s’assume telle qu’elle est, affronte le regard des autres, mais on la sent écorchée car elle a perdu sa mère dans ce terrible accident.
Au fur et à mesure que l’on découvre le quotidien de Louise au lycée, des camarades d’école uniquement féminines apparaissent cachées sous un pull à capuche. Elles ont des poils qui leur poussent sur le visage et on apprendra par la suite qu’ils se développent sur leur corps entier et que leurs sens sont de plus en plus aiguisés. Tant que cette « mutation » apparaît comme isolée à quelques cas, personne ne s’en inquiète et tout le monde rejette ces jeunes filles qualifiées de bêtes. Mais cette mutation va se proliférer et toucher de plus en plus de filles et on va voir apparaître une ostracisation de plus en plus grande des jeunes filles touchées : le gouvernement panique car il n’a aucune explication scientifique à donner, les personnes non touchées décident de s’habiller en blanc pour témoigner de leur « pureté », les mutantes sont appelées « félines » et font l’objet d’une répression et d’une violence de plus en plus grande.
Le récit relate essentiellement les quelques mois que Louise va devoir vivre dans la clandestinité avec les autres félines. On va voir leur difficulté à accepter la mutation de leur corps et à l’aimer tel qu’il est désormais. Dans une société où le corps féminin est soumis à des normes rigides, ces transformations s’avèrent très perturbantes, en premier lieu pour les intéressées elles-mêmes, mais lorsqu’elles décident de s’assumer et de s’élever contre l’oppression qui les vise, c’est toute la société qui s’en trouve bouleversée et la réaction est d’une violence inouïe. Un bras de fer terrible s’enclenche : des non mutants s’opposent à elles, tandis que d’autres se joignent à elles pour les défendre.
Dans l’adversité, Louise trouve des alliés : son père et son frère qui l’acceptent et l’aiment telle qu’elle est (le regard naïf de son petit frère est à ce titre très touchant), mais aussi Tom, un ami doux et sensible qui la verra telle qu’elle est au-delà de sa pilosité.
« Avec lui, j’avais compris que les gens ne sont pas que ce qu’ils montrent. Chacun possède un monde intérieur. Celui de Tom était étrange, décalé, mais aussi extrêmement créatif et sensible. Presque féminin, auraient pu dire certains. »
Par le biais du fantastique, l’auteur dénonce les travers d’une société obnubilée par la performance et le paraître, incapable d’accepter la différence. Les problèmes de jeunes adolescentes perdues dans leur corps qui change de façon imprévisible et bombardées par les clichés que la société renvoie sont pointés du doigt. Toutes ces filles-adolescentes qui d’un coup ne ressemblent plus aux diktats sont perçues comme monstrueuses et stigmatisées à la face du monde. Ces filles ne rêvent en réalité que de liberté et se regardent tous les matins dans la glace en se demandant si c’est mieux de raser ces poils qui repoussent très vite ou de s’accepter telles qu’elles sont.
Stéphane Servant met soigneusement en scène son roman, qui nous est livré comme la transcription du récit de l’une des protagonistes du mouvement des Félines. On découvre peu à peu les circonstances de la narration, qui se veut une restitution des faits véridique par rapport aux versions déformées par les médias.
« Je veux remercier mon éditeur pour son courage. Le seul fait de publier cet ouvrage constitue une infraction à de nombreux articles de loi et nous expose, lui comme moi, à la censure et à de nombreuses sanctions pénales. Mon éditeur et moi-même assumons les conséquences de cette publication, en toute conscience. »
L’imaginaire de Stéphane Servant nous interroge sur la lourdeur des normes, révèle la fragilité et la force de la différence de ces jeunes filles. C’est sa manière de nous inviter à accepter et même à revendiquer nos propres différences. Le roman met en relief la peur des épidémies, les mécanismes d’oppression des minorités, la recherche de boucs émissaires dans un contexte de désindustrialisation et leur instrumentalisation par les forces populistes. Mais il s’agit aussi des conditions d’émergence d’un mouvement subversif, du pouvoir de l’entraide et de la solidarité, puisque la transformation des félines leur fait prendre conscience de la condition sociale des femmes.
« Vous savez, c’est ce qu’on demande souvent aux victimes de viol : est-ce que vous avez résisté ? Vraiment résisté ? Et c’est insupportable d’entendre ça. Fred a profité du fait que j’étais jeune, frêle et ivre. Il a attendu que je sois la plus vulnérable possible pour s’en prendre à moi. Il n’y a qu’un seul coupable et c’est lui. On ne se fait pas violer. On est violée. Le viol, c’est l’autre qui le fait. C’est l’autre qui impose sa violence. Une violence extrême et aveugle qui fait de vous un objet que l’autre veut soumettre et détruire. »
Le +
La dimension fantastique du récit permet d’aborder des questions sociales importantes.
Le –
- J’ai trouvé que le récit était assez lent : il faut attendre plus ou moins 250 pages avant que ça ne devienne intéressant et que les actions ne s’enchaînent (avant ça, nous n’avons que des descriptions de différents types de rejet des félines).
- Le récit que j’ai lu était un service de presse et il y avait vraiment beaucoup de fautes d’orthographe. J’espère qu’elles ont été corrigées dans les exemplaires en vente.
- Je me demande s’il était vraiment nécessaire d’inventer cette histoire de mutation si voyante pour aborder le thème de la condition de la femme et de la différence. Personnellement, je ne suis pas complètement convaincue…
Le coin des profs
Le récit ne présente aucune difficulté de lecture et peut être la porte d’entrée pour aborder des thèmes de société intéressants. Attention au démarrage un peu lent, qui peut rebuter des lecteurs avides d’action.
Niveau de lecture
Débutant
Genre
Roman fantastique
Mots clés
Bouc émissaire, conditions de la femme, différence, émancipation, entraide, liberté d’expression, norme, oppression des minorités, rejet, solidarité, soumission, tolérance
Vous aimerez ce récit si vous avez aimé…
Divergente, Veronica Roth
Infos pratiques
- À partir de 15 ans
- Rouergue
- 271p.
- 15,80€