L’âge des possibles (Marie Chartres)
Résumé de l’éditeur
Saul et Rachel ont un avenir tout tracé : chez les Amish, la vie est une ligne droite. Leur Rumspringa, cette parenthèse hors de la communauté, leur permettra de découvrir le monde moderne pour le rejeter en toute connaissance de cause. Temple doit quitter sa petite vie casanière pour rejoindre sa sœur à Chicago, mais la peur la paralyse. Dans l’immense ville, celle qui se pose trop de questions et ceux qui devraient ne pas s’en poser vont se perdre et se trouver. Mais ils vont aussi trouver des réponses qu’ils auraient peut-être préféré ignorer.
Mon avis
Saul et Rachel ont 17 ans, ils sont amoureux et Amishs. Ils aiment leur famille, leur communauté et leur lien avec la terre et les animaux, mais dans le cadre de leur Rumspringa, ils veulent voyager, découvrir le monde et voir ce qu’ils manquent au quotidien (les nouvelles technologies, le métro, les musées, les restaurants…). Au terme de ce rite de passage, ils choisissent soit de rentrer chez eux et de suivre les règles de leur communauté, soit de rester dans le monde, décidant ainsi de rompre définitivement les liens avec leur famille.
De son côté, Temple est une jeune fille ordinaire, un peu terrorisée par le monde et trop timide pour demander de l’aide. Lorsqu’elle est envoyée à Chicago chez sa sœur pour assister au gala de danse de sa star préférée et qu’elle quitte l’épicerie de son quartier que tiennent ses parents, elle se retrouve perdue dans le métro, son trajet va croiser celui de deux ados peu ordinaires, Saul et Rachel. Une drôle d’amitié va naître entre les 3 personnages, dont le point commun est qu’ils sont en quête de soi…
« Et puis, j’ai vu mon tableau. Je veux dire le mien. Celui qui m’était destiné. Il était à la portée de tous les yeux. J’ai vu Rachel passer devant sans même y prêter attention. Des dizaines de gens l’ont examiné brièvement en hochant la tête, il semblait célèbre, mais personne ne le scrutait comme je le scrutais, attentivement, avec précision.
Est-ce que ça vous est déjà arrivé d’observer quelqu’un ou quelque chose, un visage, un ciel ou une fleur avec autre chose que vos yeux ? Avec votre cœur, votre peau, votre sang ? C’était ce qui était en train de m’arriver. C’était difficile à expliquer. […]
Chaque couleur me disait quelque chose, je veux dire qu’elles avaient une réelle signification personnelle. Une signification sereine et apaisée.
Cette chambre [La chambre de Van Gogh à Arles] était à la fois minuscule et immense. On avait envie d’y loger, de se reposer, d’être calme ou de rêver. Mais on ne pouvait ignorer aussi, qu’un jour, on ouvrirait la porte et qu’on en sortirait. Une fois dehors, on repensera alors à la petite chambre, au lit, aux couleurs et au calme et il n’y aurait aucun regret. Et une fois sorti, définitivement sorti, dans cet immense inconnu, on apprendra les autres couleurs, les autres parquets, les autres murs, qu’ils soient bien droits ou biscornus. »
Dans leur aventure, rien ne se passera comme prévu et Temple va s’accrocher à Rachel et Saul, qui vont la soutenir comme ils le peuvent. Le trio improbable va également faire la connaissance de Frederik, un jeune skateur slameur qui vit dans la rue et connaît Chicago comme sa poche.
Ce roman est intéressant et permet au lecteur de découvrir les Amishs ou d’approfondir ses connaissances sur le sujet. On a peu l’occasion de lire des romans sur cette communauté qui vit en dehors du monde et de la technologie, sur ses membres qui vivent en toute simplicité au rythme de leurs prières et de ce que Dieu a prévu pour eux. Le récit nous fait découvrir la vie et le questionnement des 4 personnages, en leur donnant la parole à tour de rôle, et nous assistons aux choix de vie que chacun fait en son âme et conscience, selon sa propre sensibilité…
« Il y avait là des perspectives que je n’avais jamais vues ni même supposées. Comme si, toute la vie durant, je l’avais passée derrière un grand rideau qui, brutalement, s’ouvrait.
Vous allez me dire, oui, c’est la définition même du rumspringa. Et c’est vrai. Mais pour moi, c’était plus, beaucoup plus. La ligne horizontale qu’était ma vie passait d’un seul coup à la verticale en zigzaguant.
Et puis, il y a eu ce tableau peint par une femme, Georgia O’Keeffe, La musique bleue et verte, c’était son titre. J’ai été prise de vertiges lorsque je l’ai vu. Je me suis assise sur la banquette au milieu de la salle pour recouvrer mes esprits. Je l’ai observé de longues minutes, je ne sais pas combien de temps je suis restée comme ça à regarder et à ne plus savoir qui j’étais. Je n’imaginais pas qu’un tableau, des couleurs, quelque chose d’inanimé pouvait malgré tout onduler et danser devant nos yeux.
Peut-être que ça ressemblait à une fleur ou à un paysage ou à un ciel, je n’en savais rien et ce n’était pas grave. Peut-être que le vent soufflait sur cette fleur, ce paysage ou dans ce ciel. Peut-être qu’il y avait de la musique, de la danse ou Dieu dans ce tableau. Peut-être qu’il y avait seulement des peut-être dans cette peinture, des possibles ou des questions laissées sans réponse.
– Tu l’aimes, ce tableau ? m’a demandé Saul en s’asseyant à mes côtés sur une des banquettes centrales de la dixième salle.
– Oui, beaucoup, et toi ?
– Non, je ne l’aime pas, je ne le comprends pas.
– Moi non plus, je ne le comprends pas, mais j’ai envie de trouver une réponse, même si ça me prendra du temps, peut-être toute une vie.
– Pourquoi aimer quelque chose d’incompréhensible, dénué de sens ou de finalité ?
J’ai bien vu que Rachel tremblait chaque fois qu’elle saisissait un livre ou un objet. Comme si tout se jouait là, entre ses mains. Non, elle ne tremblait pas, pas exactement, elle frémissait. Et puis, il y avait ses yeux. Ce qu’ils exprimaient et ce que ça me faisait à moi de voir ces yeux-là. Des yeux nouveaux, des yeux lavés, des yeux naissants. C’était beau et terrible à la fois car je n’y étais pour rien. J’aurais pu disparaître de cette boutique, ça n’aurait rien changé, Rachel aurait gardé ces yeux-là. […] tout ce que je voulais, c’était m’enfuir, et vite. Si je restais ici, pas seulement dans ce musée mais à Chicago même, je perdrais un bout de moi-même, je le pressentais. »
Le +
- C’est intéressant de découvrir le mode de vie et de pensée d’une communauté peu connue.
- J’ai bien aimé le respect qui a soudé les 3, puis 4 amis, dont les différences sont évidentes.
- Les 4 héros sont arrivés à un stade de leur vie où différentes possibilités s’offrent à eux et ils vont devoir faire un choix qui va conditionner leurs futures années. J’ai apprécié la sensibilité et la justesse avec lesquelles Marie Chartres a abordé ce moment charnière.
Le –
Les cachotteries de la sœur de Temple sur son niveau de vie et le gros secret qu’elle cache à sa sœur durant une partie du roman m’ont paru peu crédibles.
Le coin des profs
Le récit présente peu de difficultés de lecture et permet d’aborder la différence et la peur qu’elle engendre à travers une communauté en particulier.
Niveau de lecture
Intermédiaire
Genre
Roman initiatique
Mots clés
Amitié, capacité de prendre une décision, différence, éducation, liberté, peur de l’inconnu, poids de la tradition, quête d’identité, regard sur soi et sur l’autre, responsabilité
Vous aimerez ce récit si vous avez aimé…
Les frères amish, Marie Khulmann
Infos pratiques
- À partir de 13 ans
- L’école des loisirs
- 236p.
- 15€