Nous traverserons des orages (Anne-Laure Bondoux)
Résumé de l’éditeur
Voici l’histoire que je dois te raconter, Saule. C’est l’histoire d’une famille, d’une maison et d’un pays. Elle commence à la veille d’une guerre planétaire, dans une ferme de hameau qu’on appelle Les Chaumes. Elle s’achèvera un siècle plus tard, au même endroit. Entre ces deux époques, tu verras vivre ici quatre générations hantées par des secrets et des fantômes. Tu verras changer les saisons, les habitudes, les lois et les gouvernements. Tu verras des hommes tomber amoureux, rêver de grandes choses, partir à la guerre et en revenir sans mot et sans gloire. Jusqu’à moi. Jusqu’à toi.
Mon avis
Les chaumes, point d’ancrage immuable du roman, voient passer entre leurs murs quatre générations de Balaguère. De 1914 à 2022, on suit ainsi leurs histoires tourmentées, surtout celles des hommes. Ils s’appellent Cytise, Anzême, Charme, Aloès, Olivier et Saule. Tous portent le nom d’un arbre, en référence à leurs terres, que certains auront tenté de fuir. En vain, semble-t-il… De ces hommes brisés, blessés, trahis, jalousés, aimés ou détestés, Anne-Laure Bondoux en tire une saga familiale d’une force et d’un souffle rares. Sur presque 500 pages, toutes passionnantes et immersives, elle déroule l’écheveau de ces vies marquées par les secrets, les conflits, la passion, les orages et où la violence et les non-dits sont transmis de génération en génération. Des vies fragiles, que l’autrice dépeint avec justesse et limpidité, ébranlées par les guerres mondiales, la guerre d’Algérie, le sida, les bouleversements économiques et sociétaux, Tchernobyl, le 11 Septembre, mais aussi les drames personnels. En de courts chapitres et quelques ellipses, ce roman donne la parole à des hommes touchants que la vie aura malmenés. Une saga familiale vertigineuse, captivante, d’une étonnante fluidité et parfaitement orchestrée, qui nous fait traverser un siècle d’histoire.
« Je regarde le puits, la porte de la grange, les branches du tilleul qui bourgeonnent déjà, et je songe à tous les évènements dont cette cour de ferme a été témoin depuis un siècle. Elle a vu Cytise porter le corps de Marty jusqu’à la charrette, elle a vu Anzême revenir du front pendant l’hiver 1915, elle a vu Charme enlacer Mona et tomber sous le coup de feu de Jean, elle a vu Aloès et Christiane se marier, elle a vu arriver les gendarmes le jour où Véronique est morte sous le tracteur, elle m’a vu debout, désemparé, devant le coffre de l’Ami lorsque j’ai compris que mon père m’abandonnait, elle m’a vu partir et revenir cent fois, mais je crois qu’elle ne m’avait jamais vu pleurer. »
L’autrice a eu la très bonne idée de mélanger une petite histoire dans la grande et utilise des sauts dans le temps pour lui donner plus de rythme. Les passages en italique relèvent soit de confidences faites à Saule, le destinataire de cette histoire, soit des précisions sur l’époque, les grands bouleversements du temps, évènements notables de l’Histoire en marche ou réalités des vécus. L’avantage de cette approche est la facilité avec laquelle ce roman se lit. On vit au rythme de la famille, on finit par connaître son hameau comme sa poche, on vibre au rythme des guinguettes et on redoute l’écho des prochains obus. On réalise surtout à quel point cette histoire a été meurtrie par les guerres qui ne laissent de répit à aucune génération. Leur horreur devient palpable dans les souffrances silencieuses des hommes de la famille Balaguère, mais aussi dans les cicatrices imprimées sur l’ensemble de l’arbre généalogique. Les personnages du roman ne sont pas spécialement exceptionnels, ils sont terriblement humains. « Il n’y a pas de héros dans notre histoire. Seulement des hommes que la violence du monde laisse sans voix. »
Anne-Laure Bondoux valse entre les époques, charriant avec elle problématiques d’autres temps, sentiments des uns, révoltes des autres, traditions et envies de liberté, secrets et révélations. Le chemin est long entre Cytise, le premier de la lignée, et Saule, le dernier. Il faut dire que ceux qui ont quitté les Chaumes pour la Première Guerre, puis la Seconde, puis l’Algérie, ne reviennent pas identiques à ceux qu’ils étaient avant leur départ. Il faut admettre que le travail de la terre et les conséquences irréversibles de certains actes endurcit les cœurs.
« La guerre est finie. Sauf dans le coeur d’Anzême, où elle se poursuit en silence et sans merci. […] Pourtant, nous ne sommes jamais condamnés à perpétuité, Saule. Ni à la prison, ni au silence, ni à la violence. Et même après cent ans de malheurs, même si j’ai commis l’irréparable moi aussi, je ne désespère pas que nous apprenions enfin à prendre la parole plutôt que les armes. »
« C’est dans mes gènes. Il n’y a que des morts violentes dans ma famille. Maladies, accidents inexpliqués, suicides. » Ainsi s’exprime le narrateur, lucide, conscient des enjeux familiaux et des réalités, concernant la nécessité de remonter aux sources pour comprendre, soucieux de ce qu’il va transmettre à Saule. Savoir qui l’on est pour savoir où l’on va, connaître les obscurités de la terre qui nous porte et les complexités de notre arbre généalogique, tout en faisant partie de cette famille, le narrateur la met à distance pour essayer de mieux la comprendre. Il le fait pour une raison très particulière que l’on comprend à la toute fin, cela rend le roman encore plus bouleversant.
Le récit offre aussi une histoire dans laquelle on s’aime beaucoup, tantôt avec déraison tantôt avec maladresse. L’amour sous toutes ses formes y est omniprésent. Il est intéressant de voir comment, à travers les époques, certains se détachent de la terre pour partir aimer. « Aloès le sait, pour gagner sa liberté, il doit oublier d’où il vient. » En quittant les Chaumes, certains se retrouvent confrontés à la ville, à l’évolution des mentalités et sentent le pouls d’une vie nouvelle palper sous leur peau. L’amour prend alors d’autres chemins que les mariages arrangés du passé, la liberté de choix s’impose, les cœurs battent à l’unisson. Mais quand on aime, ne souffre-t-on pas toujours un peu ? J’ai eu un gros coup de cœur pour cette histoire qui ne peut laisser personne indifférent.
Le +
- Le récit est très beau et se lit avec une grande fluidité.
- Il n’y a aucun temps mort dans le rythme, les explications historiques sont bien dosées, tout comme les détails des blessures des héros.
- L’autrice rend les personnages profondément humains, malgré leurs erreurs.
Le –
Peut-être que les jeunes lecteurs seront moins intéressés par les informations relatives aux événements historiques importants qui jalonnent la saga.
Le coin des profs
Le récit est une belle porte d’entrée pour aborder la psycho-généalogie et pour inviter à adopter un regard bienveillant sur les erreurs humaines.
Niveau de lecture
Intermédiaire
Genre
Saga familiale
Mots clés
Abandon, amour, blessure, campagne, deuil, famille, fantôme, génération, guerre, non-dits, traumatisme
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Infos pratiques
- À partir de 13 ans
- Gallimard jeunesse
- 496p.
- 19,50€