Phalaina (Alice Brière-Haquet)
Résumé de l’éditeur
Par un froid jour d’hiver, un villageois découvre une petite fille à l’orée d’un bois. Muette, les yeux rouges, ses réactions sont aussi violentes qu’irrationnelles. De la campagne anglaise à un orphelinat londonien, le chemin de l’orpheline semble jalonné de phénomènes inexplicables, de morts violentes et de questions sans réponse. D’où vient-elle ? Qui sont les hommes à ses trousses ? Quel est son lien avec la célèbre Fondation Humphrey ? Pour rester libre, la jeune fille va devoir dénouer tout cela, coûte que coûte. Dans ce roman polyphonique à la richesse folle, l’autrice ressuscite avec une langue aussi tranchante que drôle l’Angleterre du 19e siècle (Charles Darwin et Jack l’éventreur ne sont pas loin) et interroge nos rapports aux autres êtres vivants, à la nature et à nos choix de survie…
Mon avis
Le professeur Humphrey, grand naturaliste et ami d’un certain Charles Darwin, revient d’un voyage de plusieurs mois, accompagné d’une enfant qui semble bien mystérieuse. Alors qu’un accident tue le professeur sur la route, cette « petite », ainsi qu’elle sera souvent appelée au fil des pages, en réchappe miraculeusement. Un paysan la trouve quelque temps après et l’héberge pendant une nuit, avant de la confier aux soins d’un orphelinat. Le lendemain, la femme du paysan est sauvagement assassinée. Cette enfant muette à la peau très pâle et aux étonnants yeux rouges connaît alors l’existence difficile d’une orpheline dans l’Angleterre victorienne. À mesure qu’elle grandit, d’autres meurtres d’une rare violence viennent jalonner son chemin. Est-ce une simple coïncidence ou bien existe-t-il un lien ?
Dès le début du roman, on est plongé dans une atmosphère inquiétante, où l’horreur se mêle au mystère. En fait, l’univers présenté est illustré sur la couverture : ce roman est d’une beauté sombre, où la monstruosité en devient fascinante. Une véritable tension s’installe dès les premières pages, les identités des personnages et leurs motivations secrètes ne se révélant que très progressivement. Ce suspense est entretenu grâce aux lettres du défunt professeur Humphrey, qui viennent éclairer peu à peu la situation, en même temps qu’elles donnent à réfléchir à l’éthique des scientifiques et de leurs expérimentations sur les animaux.
Ce roman présente un certain intérêt teinté de mystère, qu’un petit point noir vient tout de même fragiliser selon moi : Manon se fera, au cours de ses péripéties, aider par un chien, dont la voix est donnée à entendre. Le ton très railleur de ce chien, certainement censé apporter une touche de légèreté et d’humour, vient briser le mystère qui plane sur ce livre qui perd en force.
Le roman est découpé en huit livres et un épilogue entre lesquels est glissée une page noire. Parfois, entre deux parties, il se sera écoulé des années, parfois une minute. On va et on vient entre différents endroits : dans l’appartement où vit Manon en compagnie de Molly, la femme qui l’a recueillie, dans les rues avec Lbn, un personnage mystérieux ou encore dans le bureau de John, l’assistant du professeur Humphrey qui a disparu. D’ailleurs, si ce dernier est absent de l’action, il est bien présent grâce à des lettres que l’on découvre au fil du texte. Adressées à un certain Charles (qui n’est autre que Darwin), elles sont insérées à différents moments du récit. Cette correspondance est importante puisqu’elle nous livre des informations sur la dernière expédition du professeur, ses découvertes mais aussi sur Manon, cette fillette muette, mystérieuse et inquiétante, aux origines troubles et au physique troublant.
Prenant place en pleine révolution industrielle en Angleterre, l’histoire suscite une réflexion sur l’évolution des phalènes de bouleau (un papillon à l’origine clair, puis devenant de plus en plus foncé pour se fondre dans son environnement pollué) qui m’a véritablement fait comprendre à quelle époque on se situait, avec le fait aussi que Darwin soit un contemporain de nos personnages. J’ai beaucoup apprécié comment l’autrice a abordé cette période historique, à travers le prisme de la science et du progrès ainsi que leur dangerosité.
Dans cette histoire, Alice Brière-Hacquet pose la question du progrès face à l’éthique concernant le comportement des hommes vis-à-vis de la nature : faut-il continuer à torturer, épingler, défigurer des animaux au profit de la science ? Faut-il continuer de croire qu’ils ne ressentent rien, n’ont aucune conscience et aucune intelligence ? À travers le laboratoire des Humphrey, c’est une véritable extrapolation à l’échelle planétaire qui s’opère. L’autrice, à travers son récit, pose aussi la question de nos connaissances, la façon dont nous pensons avec une certitude inébranlable tout connaître alors que tous les jours l’homme découvre ou redécouvre la vie sur Terre.
Le +
- J’ai bien aimé le questionnement initié sur le comportement des hommes vis-à-vis de la nature. Il illustre bien la citation célèbre : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
- Le style de l’autrice et le schéma narratif sont assez travaillés.
Le –
- Je reste un peu sur ma faim concernant le personnage de Manon, qui ne m’a pas touchée plus que ça.
- Les pensées prêtées aux animaux (notamment au chien Giulio) étaient fausses, un peu trop humaines.
- Je me demande si ce genre de récit intéressera réellement les jeunes.
Le coin des profs
Le récit offre une bonne porte d’entrée pour aborder l’industrialisation en Angleterre, les théories de Darwin et la notion d’éthique concernant les expérimentations de l’homme sur la nature.
Niveau de lecture
Intermédiaire
Genre
Récit naturaliste aux accents fantastiques
Mots clés
Animaux, différence, éthique, expérimentations, famille, meurtre, mystère, nature, progrès, science, violence
Vous aimerez ce récit si vous avez aimé…
Les Rougon-Macquart, Émile Zola
Infos pratiques
- À partir de 15 ans
- Rouergue
- 310p.
- 15€